A la recherche de C. Marlowe

« Ô combien l'homme qui pense le plus est encore automate ! » s'écriait Diderot dans son Discours sur la poésie dramatique.

Le logiciel Marlowe prend la forme d'un personnage virtuel, ayant accès au langage grâce à des scripts assez compliqués qu'il manie avec un certain talent littéraire, puisqu'on peut le présenter comme un descendant de Raymond Queneau et de George Perec, et nous ramène, de manière indirecte, sur le terrain de la « compréhension automatique du langage naturel », sans qu'il s'agisse pour autant d'engendrer une créature artificielle autonome. Il s'agit simplement d'une forme de prolongement donnée à Prospéro à travers l'expérimentation de formes de coopération et d'écriture alternatives. En effet, Marlowe n'est pas détachable de Prospéro et, comme dans le modèle de la maison baroque décrit par Gilles Deleuze dans Le Pli, il en compose la figure renversée : c'est-à-dire à la fois l'aboutissement ou la finalisation et le lieu de réflexivité, de retour, de retournement. Le choix du mode dialogique, lié aux limites des interfaces graphiques qui se sont imposées sur les ordinateurs, pose, il est vrai, un grand nombre de questions, notamment quant au statut et à la compétence assignés à l'utilisateur, au degré d'ouverture ou de clôture des ressources incorporées par le système, et à la forme de " publicité " qui peut être donnée aux interactions entre l'utilisateur et l'instrument. Se pose aussi la question de l'équilibre entre l'utilité ou la valeur intellectuelle ajoutée de ce module et son caractère ludique ou distrayant.

Le projet Marlowe est né au cours de l'année 1999. Cette année-là, la dernière grande innovation de Prospéro fut celle des formules. L'ouverture de cet espace de travail a considérablement modifié le rapport aux corpus de textes. En même temps, le nombre d'applications que l'on pouvait envisager paraissait vertigineux. Aussi, l'idée de créer un autre univers, évitant la multiplication des fenêtres et des menus, et permettant un autre mode de communication et de mémorisation, s'est assez vite imposée.

Le travail informatique sur le logiciel Marlowe, développé à partir d'une double structure de programmation, a débuté en juillet 1999 et s'est intensifié depuis. Sans entrer dans les détails techniques, qui mériteront peut-être, dans 5 ou 10 ans, un ouvrage complet, on peut indiquer que Marlowe devra assumer les missions suivantes :

Dès lors que l'on ancre son activité sur les dossiers portés par Prospéro, ce qui ne serait pas le cas si on cédait à la tentation d'en faire une créature autonome et purement ludique, le nouvel espace de travail composé par Marlowe permet de donner un contenu encore plus concret à cette idée d'une " autre scène " dont nous avons souligné la fécondité pour lever quelques-uns des obstacles épistémologiques des sciences humaines face aux dossiers complexes et autres matériaux qualitatifs. Sans doute les positivistes nous reprocherons d'abuser des métaphores théâtrales, et leurs ennemis, constructivistes, relativistes et autres post-modernes, d'alourdir le spectacle avec des créatures fantômes leur faisant une concurrence déloyale. Mais, on peut voir les choses autrement : en assumant explicitement les simulacres opérés par nos artefacts cognitifs, on peut construire une juste distance aux objets et, indissociablement, pratiquer une véritable éthique de l'interprétation en travaillant sans relâche la question de savoir où se logent les automates.

Dans un monde informatisé, l'existence d'un assistant de recherche comme Marlowe, conçu pour coopérer avec l'interprète humain en maintenant sa vigilance critique et sa compétence langagière au plus haut niveau, peut être un moyen radical de déjouer les pièges d'une représentation du savoir imposée, de clic en clic, par des agents économiques qui ne se soucient guère des exigences propres de la pensée et de la critique. Peut-on aider à lutter contre la destruction des médiations que fournissent le travail de la représentation et la création intellectuelle ? On montrera plus tard comment Marlowe renvoie aux trois mimèsis, dont Paul Ricoeur a établi, avec la notion de " mise en intrigue ", le rôle décisif dans la genèse des connaissances en sciences humaines. Ce n'est donc pas pour rien que les noms de nos logiciels évoquent si directement le théâtre…

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